Par Julia kleemann
Une scène presque vide, un peu d’arbustes gris, une sorte de maquis méditerranéen incolore, un lieu perdu au milieu de nulle part et une jeune femme sévèrement coiffée, apparemment à la recherche de quelque chose ou de quelque chose d’autre : c’est ainsi que débute le spectacle de danse orchestrale « Arnor & Psyche ? », dont la première a eu lieu samedi au Théâtre national de Mannheim.
Le point d’interrogation dans le titre ! laisse déjà supposer qu’il ne s’agit pas d’une simple retranscription du mythe antique. Jeroen Verbruggen (chorégraphie et scène) et Yura Yang (direction musicale) utilisent plutôt l’histoire d’amour entre Arnor et la psyché humaine comme une sorte de carrière : certains moments de l’histoire, comme la rencontre des amants ou les sœurs jalouses qui influencent la psyché, se cristallisent, de nouvelles priorités sont définies, de nouveaux points de vue sont créés.
Jeroen Verbruggen ne livre pas d’intrigue au sens strict du terme, et sa pièce entraîne les spectateurs de manière étonnante et impressionnante dans un récit très concret : la pièce se concentre sur le personnage de Psyché (dansée de manière impressionnante et riche en facettes par Paloma Galiana Moscard6) qui, au cours de la pièce, trouve de plus en plus son vrai moi, son âme et l’amour. Pour expliquer la (,,,) de cette évolution sur fond de mythe – Psyché découvre sa propre histoire lors d’une sorte de visite de musée – il est certes nécessaire de jeter un coup d’œil au programme. Mais même sans cela, les principaux tournants sont clairs : des images et des symboles forts, comme la flèche surdimensionnée jaune fluo d’Arnor, et le langage individuel des mouvements de chaque scène donnent une orientation et laissent en même temps place à l’interprétation.
Premier contact avec l’amour Verbruggen mise sur des contrastes forts dans la chorégraphie comme dans la musique et a réuni une sélection de co1nonistes, de formes et d’œuvres qui ressemble à celle d’Alillergewêihn. Au début, le premier contact de Psyché avec l’amour, qui la fascine autant qu’il l’attire, est accompagné par la composition de Lukas Foss pour flûte solo (Robert Lovasich) et orchestre. Vient ensuite l’exaltante « Fantasia on Greensleeves » de Ralph Vaughan Williams, avant que les rythmes archaïques des tambours n’alternent avec les sonorités ro1nantiques de « Après un rêve » de Gabriel Fauré (violoncelle : Frithjof von Gagern, piano : Kai Adomeit) et une sonate pour violon baroque (violon : Wolfgang Hammar).
Les scènes et les morceaux de musique, si contrastés, sont taillés sur mesure pour le moment et forment un tout harmonieux. Le mérite en revient notamment à la jeune chef d’orchestre coréenne Yura Yang et à l’Orchestre du Théâtre national, qui font preuve ici d’une flexibilité et d’un niveau exceptionnels avec des formations de musique canunienne, de grands solos et des œuvres contemporaines les plus exigeantes. La scène centrale de la soirée est t la confrontation de Psyché avec les doutes et les incertitudes de l’amour.
Dans le mythe, Psyché est incarnée par les sœurs, mais chez Verbruggen aussi, elle rencontre cinq danseuses qui crient à Psyché toutes les réserves qu’elles ont à l’égard de l’amour : le malheur, l’ennui, le manque de confiance, la mauvaise communication. La confusion, le désespoir et l’insécurité de Psyché se déchaînent dans un solo émotionnel : elle trépigne, tremble, aspire, se tortille, jusqu’à ce qu’apparaisse enfin son Arnor, qui l’emporte sur des arcs puissants.
L’union avec l’amour Une note d’humour reste ensuite la parodie délicieusement kitsch d’une diva de la chanson avant le final proprement dit sur « The Unanswered Question » de Charles Ives. Libérée de ses vêtements conservateurs (costume : Emmanuel Maria), Psyché achève son chemin vers la sensualité.
femme et trouve enfin son union avec Arnor. L’harmonie des cordes d’Ives devient la signature acoustique du bonheur amoureux. Comme suspendu au-dessus, le motif des souffleurs introduit le point d’interrogation du titre : même dans cette fin heureuse, les questions inéluctables sur le pourquoi et le comment de l’amour restent ouvertes. Une standing ovation récompense une soirée qui allie profondeur et légèreté à plusieurs niveaux.
■ Jeroen Verbruggen a notamment dansé pendant dix ans aux Ballets de Monte Carlo, dans des œuvres de William Forsythe, Jiri Kylian et George Balanchine. Ses chorégraphies comprennent des créations et des réinterprétations de thèmes classiques tels que « Casse-Noisette », « L’oiseau de feu » et « Dornrêischen ».
(en 2020, la chorégraphie a été nominée pour le prix de théâtre « Faust »).
Yura Yang a suivi une formation de danse traditionnelle coréenne pendant son adolescence. Après des études à Detmold et à Munich, elle a acquis une vaste expérience dans l’opéra et le ballet, notamment aux théâtres de Kiel et d’Aix-la-Chapelle. Actuellement, elle est deuxième chef d’orchestre et assistante du directeur musical du Staatstheater Karlsruhe, où elle a travaillé avec Verbruggen sur « L’oiseau de feu ».
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